E. Kowalczyk u.a. (Hrsg.): Hélène Massalska

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Titel
Hélène Massalska, Mémoires d’une écolière à l’Abbaye-aux-Bois à Paris (1771-1779).


Herausgeber
Kowalczyk, Małgorzata Ewa; André, Locher
Erschienen
Oron-le-Châtel 2014: Association pour la conservation du château d’Oron
Anzahl Seiten
297 S.
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Lise Favre

Par quel mystère l’Association pour la conservation du château d’Oron en est-elle venue à publier les Mémoires de la princesse Hélène Massalska, aristocrate polonaise du XVIIIe siècle? André Locher, président de l’Association, s’en explique dans son avant-propos. Le dernier propriétaire privé du château d’Oron, Adolphe Gaïffe, avait acheté vers 1880, en Ukraine, une partie de la bibliothèque de la princesse. Il avait ramené ces ouvrages à Oron. Parmi eux se trouvaient les Mémoires écrits par Hélène, en français, dans les années 1770. Ce manuscrit a ensuite disparu, pour être retrouvé dans un fonds d’archives aux Archives nationales de Pologne à Cracovie. Il a attiré l’attention d’une historienne, Malgorzata Ewa Kowalczyk, de l’Université de Wroclaw, qui a rédigé l’introduction et les notes de l’ouvrage. L’Association pour la conservation du château d’Oron en a permis la publication, dans une belle édition illustrée notamment de nombreux portraits de la mémorialiste, ainsi que de photographies du couvent de l’Abbaye-aux-Bois.

L’Introduction de Malgorzata Kowalczyk nous renseigne sur les origines, la personnalité et le destin d’Hélène Massalska et permet de la replacer dans son époque et dans sa situation sociale. Née en 1763, Apolline Hélène Massalska est la descendante d’une illustre et richissime famille de magnats lituaniens (à l’époque de sa naissance, la Lituanie et la Pologne sont réunies dans l’éphémère République des Deux Nations). La fillette perd ses deux parents alors qu’elle n’a que 18 mois: son oncle, évêque de Vilnius, devient son tuteur. Impliqué dans une conspiration, l’évêque doit fuir le pays en hâte et emmène sa nièce à Paris où il arrive en 1771. Il fréquente le salon de Mme Geoffrin et celle-ci lui conseille de placer Hélène au couvent de l’Abbaye-aux-Bois. L’enfant y entre à l’automne 1771 (elle a 8 ans) et y restera jusqu’en 1779, date de son mariage (à 16 ans).

L’Abbaye-aux-Bois, monastère de religieuses cisterciennes soumis à l’autorité de l’abbé de Clairvaux, se trouvait à Paris dans le quartier Saint-Germain. Les religieuses y dirigeaient, au XVIIIe siècle, une prestigieuse école séculière pour filles : les élèves venaient des plus grandes familles de l’aristocratie française, ainsi que les moniales elles-mêmes. C’est ce monde clos, aux allures de gynécée, que la petite Hélène décrit dans ses charmants Mémoires. Elle ne donne pas de date précise quant à leur rédaction, mais celle-ci est contemporaine de son séjour à l’Abbaye-aux-Bois: elle a sans doute commencé relativement tôt à écrire «J’écrivais toute la journée mes mémoires, comme c’était la mode parmi les grandes demoiselles dans ce temps-là», (p. 117). Le premier cahier du manuscrit, qui en compte deux, se termine par la mention «Les présents mémoires terminés en ce jour de l’an 1775 par moi, Apolline Hélène, pensionnaire de la 2e classe, dite ‹blanche» (p. 154). Le second cahier ne comporte aucune date, il se termine abruptement comme si la mémorialiste n’avait plus envie d’écrire. On verra pourquoi.

La description de l’arrivée au couvent est vivante et drôle. Craignant de se voir moquée à cause de son français imparfait, la fillette se mure dans le silence et s’exprime par signes, jusqu’à ce qu’elle se hasarde à répondre à sa voisine de table pendant le repas. On s’écrie alors «La petite Polonaise parle le français !» (p. 83). Dès son arrivée, Hélène se lie avec deux condisciples: Mlle de Montmorency, née en 1759, qui lui servira de «petite maman» jusqu’à son décès tragique en 1775, et surtout Mlle de Choiseul, son exacte contemporaine, avec laquelle elle noue une vive amitié. Les deux fillettes découvrent vite comment quitter leur chambre pendant la nuit et arpentent le couvent en faisant moult bêtises, par exemple en mettant de l’encre dans les bénitiers de la chapelle. Dans un registre plus grave, Hélène soutiendra son amie lorsqu’une autre pensionnaire lui jettera au visage que sa mère a été exilée dans un couvent de province à cause de son inconduite. «Mlle de Choiseul fit bonne contenance et dit : Non, ma mère vit en province parce que c’est son goût, du moins c’est ce qu’on m’a toujours dit. Mais si ce que vous dites est vrai, ce ne sera pas le plus beau trait de votre caractère de m’avoir éclairée là-dessus» (p. 164). On notera au passage la parfaite maîtrise de soi de cette adolescente, mais aussi le fait qu’elle ignore où se trouve sa mère et pourquoi. Il en est de même de la plupart des pensionnaires, qui n’ont que rarement, voire jamais, de contact avec leurs parents.

Les Mémoires décrivent avec vivacité la vie quotidienne au couvent, les classes, les jeux, les distractions qui sont nombreuses. Les 160 élèves sont réparties en trois groupes selon leur âge: les «rouges», les plus grandes, effectuent plusieurs semaines de travaux pratiques à la sacristie, au parloir, à l’apothicairerie, au réfectoire… Une sorte d’école ménagère en somme. Mais elles reçoivent aussi des cours de chant, de musique, de danse, de comédie. Hélène joue Rodrigue dans Le Cid, Joas dans Athalie, Esther dans la pièce éponyme; elle note à ce sujet: «On nous dessina nos costumes d’après ceux de la Comédie Française. J’avais un habit blanc et argent, dont la jupe était toute, du haut en bas, agrafée en diamants, car j’en avais pour plus de cent mille écus…» (p. 227). Pendant le carnaval, des bals très courus ont lieu une fois par semaine au couvent. Le meilleur monde s’y presse. Évidemment les religieuses n’y assistent pas, mais elles sont «toujours au parloir » et sont très au fait de ce qui se passe à la ville et à la cour. Les familles engagent en effet très tôt des négociations matrimoniales et les jeunes filles «rouges» sont souvent mariées avant même leur sortie du couvent. C’est le cas de Mlle de Choiseul, l’amie d’Hélène, mariée en 1778 (elle a 15 ans) et ramenée au couvent sitôt après le mariage (pp. 203-204), et d’autres camarades d’Hélène encore.

Un incident rapporté par Hélène témoigne des luttes de pouvoir au sein du clergé. À l’occasion de la confirmation des élèves, l’archevêque de Paris se rend à l’Abbaye-aux-Bois et visite le couvent. Dans la bibliothèque, riche de trente mille volumes, il découvre des livres de Jansenius, de Pierre Nicole, de Pascal… Il ne fait aucun commentaire, mais envoie le lendemain des vicaires qui posent les scellés sur les armoires contenant les livres jansénistes. Protestation de l’abbesse et des religieuses, qui écrivent à l’abbé de Clairvaux, leur supérieur. Celui-ci se plaint à l’archevêque et conteste sa juridiction: l’archevêque cède et fait lever les sceaux. «Peu après, M. l’Abbé de Clairvaux fit un immense envoi de vin de Bourgogne à la maison» conclut la mémorialiste avec malice (p. 115).

La mort est pourtant toujours présente dans ce petit monde frivole. Plusieurs religieuses, plusieurs élèves décèdent pendant le séjour d’Hélène. Sa «petite maman», Mlle de Montmorency, meurt à 16 ans. Mme de Rochechouart, la Maîtresse générale du couvent, la religieuse particulièrement aimée d’Hélène qui l’admire éperdument et la considère comme la mère qu’elle n’a pas connue, décède subitement après onze jours de maladie. C’est sur ce deuil, vivement ressenti, que se termine le manuscrit. Hélène écrit sobrement: «L’époque de la mort de Mme de Rochechouart fut la première fois que je désirai de sortir du couvent » (p. 257).

Ce texte constitue un témoignage de première main sur l’éducation des filles de l’aristocratie au XVIIIe siècle. Non seulement il est écrit par une élève de ces couvents que la littérature de l’époque évoque si souvent (on pense à la Sophie de Volanges des Liaisons dangereuses, par exemple), mais il est écrit pendant la scolarité de la mémorialiste, ce qui lui donne spontanéité, charme et cachet. C’est une petite fille, puis une adolescente qui écrit. Force est de reconnaître qu’elle a un grand don d’observation, servi par un style élégant. Il est heureux que ce texte ait pu être édité grâce à l’Association des amis du château d’Oron et à la ténacité de l’historienne polonaise qui a établi le texte, l’a abondamment annoté et a rédigé une savante introduction.

Zitierweise:
Lise Favre: Rezension zu: Hélène Massalska, Mémoires d’une écolière à l’Abbaye-aux-Bois à Paris (1771-1779), Malgorzata Ewa Kowalczyk et André Locher (éds), Oron: Association pour la conservation du château d’Oron, 2014. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 259-261.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 123, 2015, p. 259-261.

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